Samedi 12 juin 2021. Comme chaque année désormais depuis dix ans, c’est devenu un rituel. Les amateurs de musique et de disques vinyles se donnent rendez-vous dans leur magasin de disques favori, c’est le disquaire day (depuis 2008 aux USA, 2011 en France), le jour des disquaires indépendants, nommé record store day, en anglais dans le texte. L’occasion pour les amateurs ou les collectionneurs (qui bien souvent ne font qu’un) pour trouver la pépite, l’album vinyle réédité pour cette occasion, parfois en tirage très limité. Bien sûr les puristes de la première heure déploreront l’aspect commercial de cette opération. Il n’est pas rare en effet – et c’est même quasi systématique – de trouver sur les sites de vente aux enchères les tirages du disquaire day, revendus à prix d’or dès le lendemain de l’opération en magasin. Mais après tout, c’est la règle. C’est aussi ce qui fait l’attrait du disquaire day. On n’achète pas seulement un vinyle. On achète un bel objet, hautement désirable.
Disquaire day. Cher vinyle !
J’étais donc en quête d’une ou deux pépites. J’arpentais les allées de Dialogues musique, l’un des principaux disquaires indépendants de Brest. J’ai rapidement trouvé l’album que j’étais venu chercher, un enregistrement live de Fontaines DC, groupe irlandais que je suis depuis leurs débuts. Cette année, je ne suis pas arrivé à l’heure. Le magasin ouvre à dix heures pétantes, les afficionados sont massés devant l’entrée. Autant dire qu’en arrivant une heure plus tard, les pièces les plus rares ou les plus convoitées se sont déjà envolées. Il reste quand même deux exemplaires du cultissime Morrison Hotel des Doors, version double album des sessions d’enregistrement. Quarante euro, c’est pas vraiment donné. Mais pour une pochette illustrée des photos inédites de mon cher Henry Diltz, c’est cadeau. J’en prends un, mon voisin avise mon choix et s’empare de l’autre exemplaire. J’en profite pour lui demander ses motivations. Comment expliquer le succès grandissant du Disquaire day, année après année ? Qu’est-ce qui motive les acheteurs de disques vinyles aujourd’hui ?
• Vinyle, le choix de l’esthète
Lui, il approche des soixante dix balais. Autant dire qu’il est de cette génération qui a toujours acheté des disques. En 1972, il avait vingt ans, la musique pop, le rock font partie de sa culture. Il confesse posséder environ deux mille vinyles et pas mal de CD, aussi. Quand le compact disc est arrivé, le vinyle a disparu. Il a donc acheté des CD. Puis la musique s’est dématérialisée, signant la mort du CD et paradoxalement la renaissance du vinyle. Avec l’âge, sa culture musicale a évolué, il a écouté du jazz, un genre musical très présent sur le segment vinyle. Ses motivations ? Il aime le vinyle pour son côté bel objet et comme je le comprends. Il apprécie aussi d’acheter un objet qui peut être rare. Par exemple, l’album des Doors a été édité à 16.000 exemplaires, autant dire que sa cote pourrait possiblement grimper sur Discogs. La qualité d’écoute est aussi un paramètre important. Un système hifi de gros calibre, une platine haut de gamme. Quand il évoque la tête de lecture mobile de sa platine, son regard s’éclaire. Aucun doute, mon voisin est un esthète.
• Disquaire day, le choix des collectionneurs
Un coup de fil à un ami. Mathieu évolue dans le milieu de la musique. Il est photographe et vidéaste, passionné de musiques. Chaque année, le disquaire day c’est l’occasion de craquer sur quelques pépites. Il repère la rareté, traque le bel objet. Il aime les vinyles de couleur, les mélanges atypiques, comme les vinyles marbrés. Un coup d’œil à sa collection ne trompe pas. On y trouve aussi bien des disques de pop, de rock, de rap mais aussi des musiques de films. Une constante, tout de même, la qualité esthétique de l’objet. Mathieu aime ce qui est beau et rare, tout en privilégiant aussi le côté affectif.
Car le vinyle introduit aussi cette notion essentielle de l’affect. On achète un vinyle en soutien à un artiste qu’on aime. Je ne suis pas étonné de savoir que Mathieu a acheté cette année un album de Mogwai, le groupe écossais qu’il apprécie au moins autant que les belges de Girls in Hawaï… C’est une démarche que je partage. Récemment j’ai acheté le splendide album de Mansfield TYA (Monument ordinaire, vinyle blanc, tirage limité à 500ex.). J’achète les vinyles de groupes ou d’artistes que je soutiens comme Fontaines DC, François Premiers, Steven Prigent, Spielbergs, … Ou d’artistes que je collectionne, comme Étienne Daho, voire de vieux camarades comme Peter Gabriel. En revanche, je n’achète plus jamais de CD, d’ailleurs je n’ai plus de platine pour les lire. Spotify, auquel je suis abonné, les a remplacé avantageusement.
• Des motivations tous azimuts !
Soutien à un artiste, amour du bel objet, qualité musicale de l’écoute, recherche de l’objet rare, du tirage limité ou confidentiel, collectionnite aigüe, achat compulsif, … Les motivations des acheteurs sont presque aussi nombreuses que les éditions du disquaire day chaque année. Il y a aussi le soutien aux disquaires indépendants. Ils étaient 3000 au début des années 80, ils sont désormais moins de trois cent. À Brest, ville musicale s’il en est, on en compte trois, Dialogues musique, l’Oreille KC et Badseeds. On peut certes acheter un vinyle par internet, mais nombre d’amateurs apprécient d’arpenter les rayons du disquaire, d’échanger avec lui, d’écouter ses conseils souvent judicieux. Car les disquaires sont souvent et avant tout des amateurs de musiques, pour certains des esthètes ou des experts.
On n’achète pas un vinyle comme un objet lambda, c’est tout sauf un objet banal. C’est du vintage, de la nostalgie de jeunes gens modernes, ce que les anglo-saxons désignent sous le terme de nowtro (contraction entre « now » maintenant et rétro). Acheter un vinyle, c’est mille motivations. C’est un soutien passionné à un secteur musical qui en a bien besoin. Reste le facteur prix et non des moindres. Un vinyle coûte au bas mot 25€, c’est (très) cher. D’autant qu’il y a désormais deux disquaire day dans l’année. Deux occasions de se ruiner, vous diront les collectionneurs…
• voir le site officiel du Disquaire Day en cliquant sur ce lien